ALLAH N'EST PAS OBLIGE 

d'AHMADOU KOUROUMA

Editions du Seuil, Paris, septembre 2000


Dédicace : Aux enfants de Djibouti : c’est à votre demande que ce livre a été écrit.

I

   «Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n'est 
   pas obligé d'être juste dans toutes ses choses ici-bas. Voilà. Je commence 
   à conter mes salades.

                Et d'abord... et un... M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre. Pas
                parce que suis black et gosse. Non! Mais suis p'tit nègre parce
                que je parle mal le français. C'é comme ça. Même si on est
                grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même
                américain; si on parle mal le français, on dit on parle p'tit nègre,
                on est p'tit nègre quand même. Ça, c'est la loi du français de
                tous les jours qui veut ça.

                ... Et deux... Mon école n'est pas arrivée très loin; j'ai coupé
                cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le
                monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une
                vieille grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre noir africain
                indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le
                pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère
                foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très
                mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce
                que, même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu
                d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques
                bananières corrompues de l'Afrique francophone. (République
                bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par
                des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu'à cours
                élémentaire deux n'est pas forcément autonome et mirifique. On
                connaît un peu, mais pas assez; on ressemble à ce que les
                nègres noirs africains indigènes appellent une galette aux deux
                faces braisées. On n'est plus villageois, sauvages comme les
                autres noirs nègres africains indigènes: on entend et comprend
                les noirs civilisés et les toubabs sauf les Anglais comme les
                Américains noirs du Liberia. Mais on ignore géographie,
                grammaire, conjugaisons, divisions et rédaction; on n'est pas
                fichu de gagner l'argent facilement comme agent de l'Etat dans
                une république foutue et corrompue comme en Guinée, en
                Côte-d'Ivoire, etc., etc.»

                Ce texte est extrait de Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma,

                                                         (Editions du Seuil, septembre 2000)
 
La quatrième de couverte:
«Je m'appelle Ibrahima. J'aurais pu être un sale gosse comme les autres (dix ou douze ans, selon les sources), ni meilleur ni pire, si j'étais né ailleurs que dans un foutu pays d'Afrique. Mais mon père est mort. Et ma mère, qui marchait sur les fesses, elle est morte aussi. Alors je suis parti à la recherche de ma tante Mahan, ma tutrice. C'est Yacouba qui m'accompagne. Yacouba, le féticheur, le multiplicateur de billets, le bandit boiteux. Comme on n'a pas de chance, on doit chercher partout, dans le Liberia et la Sierra Leone de la guerre tribale. Comme on n'a pas de sous, on doit s'embaucher, Yacouba comme grigriman et moi comme enfant-soldat. De camp  retranché en ville investie, de bande en bande de bandits de grand chemin, j'ai tué pas mal de gens avec mon kalachnikov. C'est facile. On appuie et ça fait tralala. Je ne sais pas si je me suis amusé. Je sais que j'ai eu beaucoup mal. Mais Allah n'est pas obligé d'être juste avec toutes les choses qu'il a créées ici-bas.»
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© Susan Wessin - 4/12/2001